Les restrictions de mouvement liées à la pandémie ajoutent encore à la difficulté de contrôle des filiales hors d’Europe lorsque les équipes de management sont composées de recrutements locaux.
Une solution fréquemment adoptée consiste à nommer des cadres supérieurs du siège (qui peut être global ou régional) sur les “boards” de filiales.
Mais une présence physique même occasionnelle se heurte à une forte réticence tant de la part des intéressés que de leur employeur, la principale objection étant désormais la crainte d’être pris dans un reconfinement rapide et de ne pas pouvoir retrouver son environnement familial ou professionnel durant de longs mois. Les réunions se déroulent donc le plus souvent par visioconférence, voire sur le papier uniquement.
Rien n’est plus dangereux pour ces administrateurs occasionnels et distants qui ne réalisent pas les risques de mise en cause de leur responsabilité personnelle, en particulier dans les pays de common law d’Asie Pacifique.
Il faut se garder d’un sentiment illusoire de sécurité, reposant sur des a priori non vérifiés et inexacts tels que “tant que la filiale ne commet pas d’acte frauduleux il n’y a pas de risque” ou “nous avons des procédures en vigueur au sein du Groupe, cela suffit”.
Une solution commence à être retenue par des Groupes, consistant à nommer une personne de confiance extérieure au Groupe résidant dans le pays de la filiale, qui comprend sa politique en matière de gouvernance et maîtrise les responsabilités d’un administrateur en droit local.
Lettre d'information N°7 - Mai 2021
I Une option à considérer: confier le contrôle à distance à un “administrateur professionnel”
Cette personne doit satisfaire à plusieurs critères cumulatifs :
- Être résidente du pays où se trouve la filiale ou à proximité immédiate ;
- Avoir une connaissance complète et constamment à jour des droits et devoirs d’un “director” en droit local du pays ;
- Être au fait des règles de gouvernances en vigueur au sein du Groupe dans son ensemble et être garant du respect des procédures internes ;
- Mériter la confiance de l’actionnaire qui l’a nommé, à titre personnel et en tant que membre d’une profession réglementée soumis au respect de règles déontologiques dont la violation est assortie de sanctions ordinales.
Ce faisceau de critères conduit naturellement, en tout cas est-ce l’opinion présentée ici, vers un professionnel du droit, de nationalité française et résidant dans le pays de la filiale depuis et pour une longue durée.
Un avocat francais exerçant sa profession à l’étranger est particulièrement à même de remplir ce rôle. Ceci lui est autorisé, dès lors qu’il est inscrit au Barreau de Paris, au titre de l’article P.41.7 du Règlement Intérieur de ce barreau qui par surcroit offre la garantie d’encadrer l’exercice du mandat dans des règles déontologiques précises.
II Pourquoi un avocat francais ? L’avantage de l’indépendance en droit de common law
L’indépendance de l’avocat présente deux avantages propres à son statut:
1. L’indépendance réduit le champ de la responsabilité de l’administrateur nommé par un siège
La responsabilité de l’administrateur telle que précisée dans la législation et la jurisprudence dans les pays ou territoires régis par la common law (et notamment ceux d’Asie Pacifique: Malaisie, Singapour, Australie et Nouvelle-Zélande, Hong Kong) repose sur des concepts différents du droit français.
Il est de principe constant que chaque administrateur (“director”) doit à la société qu’il dirige collectivement avec ses collègues du “board” d’exercer son mandat de façon honnête, diligente, de bonne foi et dans l’intérêt de la société (“fiduciary duties”).
A Singapour, le Companies Act 2013 (Cap 50) n’ajoute rien à la définition dans son article (“section’) 157 (1): “A director shall at all times act honestly and use reasonable diligence in the discharge of the duties of his office”.
Mais d’autres juridictions ont précisé le concept dans le sens d’une responsabilité plus exigeante des administrateurs au regard des “duties of skills and care” .
C’est le cas de Hong Kong. La Companies Ordinance (Cap 622) de 2014, à la différence du texte qui l’a précédée, élabore sur le contenu des “fiduciary duties” dans son article (“section”) 465.
L’Ordonnance précitée distingue deux tests distincts et cumulatifs auxquels un administrateur doit satisfaire dans l’exercice de son devoir de “care, skill and diligence”:
- Un test objectif: faire usage des compétences que l’on peut raisonnablement attendre d’une personnes occupant sa fonction ;
- Un test subjectif: faire usage des compétences propres à l’administrateur concerné.
Le test subjectif fait peser une responsabilité accrue sur l’administrateur nommé par la maison mère du fait de sa meilleure connaissance du Groupe, de sa stratégie et de ses pratiques (notamment en matière de bonnes pratiques et de gouvernance), et de sa capacité supérieure à celle de ses collègues dans des domaines tels que finance, marketing, juridique …etc.
Un avocat indépendant qui connaît bien le Groupe dans son ensemble mais dont la compétence est strictement juridique n’est pas soumis à ce surcroît de responsabilité.
2. L’avocat n’a pas de conflit d’intérêts entre le Groupe et la filiale
L’accomplissement conforme à la loi des “fiduciary duties” implique que administrateur est tenu de privilégier les intérêts de la société dont il officie sur le “board” (la filiale) sur ceux de l’actionnaire.
A titre d’exemple, le principe est posé avec la plus grande clarté en droit malaisien, dans la version rénovée de la loi sur les sociétés “Companies Act 2016 (Act 777”).
L’article (“section”) 217 intitulé “Responsibility of a nominee director” stipule en effet qu’un administrateur nommé à cette fonction au titre de son statut d’employé de la société, ou par un actionnaire ou employeur, doit agir au mieux des intérêts de la société et ajoute une précision:
En cas de conflit entre son devoir d’agir dans l’intérêt de la société et ses devoirs entre la partie qui l’a nomme, l’administrateur ne doit pas subordonner les intérêts de la société à ceux de celui qui l’a nommé.
Toute violation de ce principe constitue une infraction pénale, punissable d’une amende jusqu’à trois millions de la monnaie locale le ringgit (environ 600.000 euros) ou d’une peine d’emprisonnement jusqu’à cinq ans.
Ce conflit peut être difficile à gérer pour le cadre du siège devenu administrateur de filiale qui doit arbitrer entre les intérêts de la filiale et ceux du Groupe qui l’a nommé, au sein duquel il occupe un poste de haute responsabilité et auquel il est relié par un contrat de travail.
La nomination d’un administrateur totalement indépendant comme l’avocat évoque ici permet de minimiser voire éliminer le risque de conflit d’intérêts ainsi que sa simple apparence.
III Pourquoi un avocat français résident ? Parce que l’implication d’un “director” ne peut être passive, elle doit être active et dans la conformité au droit local
Le membre d’un board ne peut se reposer seulement sur ses collègues ou sur le company secretary mais doit cumulativement participer activement aux décisions, et personnellement s’assurer que les formalités essentielles sont respectées.
L’administrateur même non-exécutif (du point de vue de la filiale) et désigné par la société mère ne peut s’affranchir des obligations pesant collectivement sur le board et individuellement sur la personne. Il est tenu, comme deja indiqué dans nos Newsletters, par les “fiduciary duties” et “duties of care, skill and diligence”.
Les “duties” d’un “director” sont d’une double nature. Certains sont de caractère général, ce sont les plus faciles à respecter, d’autres, d’autres nécessitent une réflexion adaptée à chaque situation.
1. Devoirs personnels spécifiés
À Hong Kong par exemple, la responsabilité incombe à chaque administrateur individuellement de s’assurer que la société tient une comptabilité authentique et sincère (principe numéro 11 du “Guide on Directors’ Duties” du Companies Registry de Hong Kong).
En outre, seul l’administrateur peut (et par conséquent, doit) se conformer à des obligations lui incombant personnellement, tels que d’éviter tout conflit d’intérêt avec les intérêts de la société (principe numéro 5), ne pas autoriser de transactions dans lesquelles il a un intérêt sauf dans le respect des prescriptions légales (principe numéro 6), ne pas profiter à titre personnel ou au profit d’un tiers de sa position d’administrateur (principe numéro 7).
2. Participation active aux décisions
Un administrateur ne peut se contenter de se rallier à la position dominante du board, il doit à la société d’analyser personnellement chaque question afin de parvenir à sa propre conclusion.
A titre d’exemple, selon le droit malaisien (Companies Act 2016, articles 214 et 215) le “devoir” de “reasonable care, skill and due diligence” impose à chaque administrateur de former un “business judgment” qui lui soit propre. Ceci concerne toutes décisions, positives ou par abstention, sur toutes matières d’importance pour la société.
Pour se conformer à la loi, l’administrateur doit s’informer sur les circonstances de la décision, et s’il se repose sur un avis extérieur (par un expert, ou autre professionnel) ou interne (par un cadre de la société, un autre administrateur ou un comité spécialisé au sein du “board”) il doit se convaincre de la compétence de la personne dans le domaine considéré et apprécier par lui-même la valeur de l’avis donné, utilisant sa connaissance de la société et prenant en considération la complexité de sa structure et de ses opérations.
En cas de manquement, les peines sont similaires à celles pouvant être prononcées contre l’administrateur désigné (“nominee director”): amende jusqu’a 600.000 euros) ou peine d’emprisonnement jusqu’à cinq ans.
IV Pourquoi un avocat français résident compétent en droit local ? L’exemple des pratiques qualifiées d’actes de corruption
Comme souligné dans notre précédente Newsletter, la responsabilité personnelle de l’administrateur peut être engagée dans des domaines de plus en plus nombreux, étrangers au droit des sociétés, comme la protection de la santé et sécurité des employés.
De nouveaux domaines apparaissent sans cesse où cette responsabilité personnelle peut être mise en cause sans intention de l’administrateur et à son insu. Ces extensions créent de nouvelles obligations d’implication personnelle de la part de l’administrateur.
La lutte contre la corruption en est un exemple. Alors que certaines juridictions ne considèrent que la corruption d’agents publics (c’est le cas de Hong Kong avec la Prévention of Bribery Ordinance (Cap 201)), d’autres étendent aux relations entre parties privées le domaine des pratiques qualifiées de corruption et sanctionnées comme telles.
C’est le cas de Singapour où l’article 5 du “Prevention of Corruption Act (Cap 241)” est de rédaction suffisamment large pour être applicable aux transactions commerciales privées.
En Malaisie, l’extension aux relations entre personnes privées de la définition des actes de corruption considérés comme des infractions est exprimée de façon encore plus nette. Un nouvel article 17A (“Act A1567”) ajouté au “Malaysian Anti-Corruption Act de 2009 (Act 694)” entré en vigueur en juin 2021 impose des sanctions très lourdes, financières et sous forme d’emprisonnement susceptibles de s’appliquer aux “directors” des personnes morales et aux membres du management impliqués dans la commission de l’infraction.
Sont concernées les sociétés même non enregistrées en Malaisie mais réalisant des affaires dans le pays.
Quant aux pénalités, elles peuvent s’élever jusqu’à 20 ans d’emprisonnement et 5 fois le montant de la somme offerte.
Point particulièrement important à considérer, la charge de la preuve repose sur les personnes soupçonnées, qui ne peuvent s’exonérer qu’en satisfaisant un double test : établir qu’elles n’étaient pas informées et qu’elles ont pris toutes mesures pour éviter que l’acte illicite soit commis.
Les mesures doivent être bien entendu être préventives mais ce n’est pas suffisant la preuve doit être rapportée de leur efficacité.
Plus encore dans le détail, il est indispensable (même si non obligatoire, mais par précaution) de suivre les “Guidelines” du ministère, inspirées de celles du Ministère de la Justice britannique et du UK Bribery Act 2010, qui recommandent des “risk assessment”, “due diligence” et revues périodiques.
Par souci supplémentaire de protection il est recommandé de mettre en place des procédures conformes à la norme ISO 37001:2016 adoptée comme standard malaisien en 2017, et mieux encore d’être déclaré conforme par un organisme certifié ISP 37001.
En conclusion...
Déléguer le rôle d’administrateur de filiale résident à un tiers de confiance, et l’avocat français exerçant à l’étranger est particulièrement qualifié pour le faire, est une solution efficace et la moins risquée pour assurer le relais entre le siège et la filiale.
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Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).