Comme nous l’écrivions dans une précédente Newsletter, la médiation a enfin obtenu sa pleine reconnaissance comme l’un des modes à part entière de résolution alternative des différends (Alternative Dispute Resolution) ou selon une formule employée par la SICC Singapore International Commercial Court suivie par d’autres commentateurs “Appropriate Dispute Resolution”. Ceci étant le fruit d’une réflexion selon laquelle les différents modes de résolution des litiges constituent une palette, parmi laquelle il convient de choisir au cas par cas la méthode la mieux adaptée aux circonstances.
Au sein d’une telle palette, les couleurs se mélangent tant les frontières entre les différents modes de Dispute Resolution tendent à devenir de plus en plus poreuses, en tout cas en Asie du Sud-Est et à Hong Kong.
Lettre d'information N°13 - Nouvelle définition du contentieux commercial en Asie
Une forme avancée de Med-Arb au Asian International Arbitration Centre de Malaisie (AIAC).
Il a été évoqué dans une Newsletter la solution proposée par la SICC, Singapore International Commercial Court, sous la forme du Protocole LML (Litigation-Mediation-Litigation) venant non pas remplacer ou même concurrencer (à Singapour tout est lié et les institutions fonctionnent de façon coordonnée) la procédure Arb-Med-Arb offerte par la SIAC (Singapore International Commercial Centre).
Il a été souligné que AIAC, l’instance principale de Malaisie pour l’ADR, en était restée à un mécanisme moins élaboré de “Med-Arb”. Or, ceci vient de changer, avec l’adoption des Mediation Rules 2023 en replacement de la version de 2018.
Ces Règles instaurent un mécanisme de “Med-Arb” plus élaboré que le précédent, permettant aux parties de tenter de résoudre leur différend par la médiation de façon “ouverte” avec deux issues possibles.
Si elles parviennent à un accord, les parties peuvent demander l’enregistrement de la transaction (settlement) sous forme de “consent award” pouvant être exécuté (“enforced”) comme le serait un jugement des tribunaux locaux au titre de la Convention de New York (New York Arbitration Convention 1958 on the Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards), ce qui aligne les médiations conduites devant AIAC sur celles de SIAC.
Mais également, innovation importante, les Règles encadrent le calendrier de la formule mixte en prévoyant que si la médiation ne se conclut pas par un accord transactionnel dans les 60 jours suivant la date de la signification de la demande de médiation, elles consentent par avance et automatiquement a soumettre le différend a l’arbitrage institutionnel selon les AIAC Arbitration Rules 2023 (récemment amendées pour les rapprocher des règles UNCITRAL), selon des modalités dont elles seront déjà convenues concernant le nombre d’arbitres, le “seat” et la langue de la procédure.
La bifurcation un autre “pont” entre arbitrage et mediation.
La bifurcation, une technique parfois employée en arbitrage à l’initiative des parties ou du tribunal, permise implicitement selon plusieurs Règles institutionnelles (UNCITRAL Arbitration Rules 2021), LCIA Rules 2020 (London Court of International Arbitration), SIAC Arbitration Rules 2016) et explicitement dans les ICSID Arbitration Rules 2022 (International Centre for Settlement of Investment Disputes) présente un cousinage distant mais certain avec la médiation.
Ceci est évoqué dans les ICC Arbitration Rules 2021 qui mentionnent de façon explicite la bifurcation comme une formule particulièrement adaptée aux litiges simples et modestes quant au montant considéré (“cases of low complexity and low value”) dans un but d’efficacité et de maitrise des couts (Appendix IV – Case Management Techniques).
La bifurcation, qui consiste à séparer la procédure en des étapes distinctes et successives donnant lieu à des “partial awards”, typiquement distinguant les questions de compétence (“juridiction”) de la responsabilité (“liability”) et du préjudice (“damages/quantum”), peut conduire les parties à résoudre leur différend sous la forme d’une transaction si par exemple le tribunal dans un partial award conclut à l’absence de responsabilité, ou à un montant de préjudice indemnisable minime ou nul.
Sans que le mécanisme ainsi décrit incorpore strictement une médiation, il implique qu’in fine l’examen préliminaire par un tribunal arbitral puisse amener celui-ci à jouer un rôle de quasi médiateur.
La bifurcation n’est pas sans complications et peut ralentir et rendre plus coûteuse la procédure d’arbitrage (un an supplémentaire en moyenne selon le Journal of International Arbitration (cf. Lucy Greenwood “Revisiting Bifurcation and Efficiency in International Arbitration Proceedings” 2019), ce n’est donc pas (et pour d’autres raisons, dont la nécessité de satisfaire le “Glamis Gold test” bien connu des praticiens) une alternative à la médiation mais reste néanmoins un exemple supplémentaire de “pont” entre les divers modes d’ADR.
En conclusion, on ne peut qu’observer la richesse et la souplesse des mécanismes de résolution alternative (ou adéquate “appropriate”) des litiges commerciaux en Asie.
Ceci ne se limite pas à Singapour et à la Malaisie mentionnés dans cette Newsletter, on doit y inclure Hong Kong et son Arb-Med-Arb, protocole selon lequel le tribunal arbitral peut jouer le rôle de médiateur en cours de procédure et, si celle-ci aboutit, importer les termes de l’accord transactionnel (“settlement”) dans un “consent award”.
Les parties et leurs counsels devraient être ainsi encouragées à soumettre leurs litiges à une institution arbitrale et de médiation située en Asie, que ce soit à Kuala Lumpur, à Singapour ou à Hong Kong en particulier et dans ce dernier cas y compris pour les litiges impliquant la Chine Continentale avec la branche hongkongaise de CIETAC China International Economic and Trade Arbitration Commission, la plus ancienne et la plus prestigieuse des institutions arbitrales de République Populaire.
Ce choix alternatif à la place de Paris, dont l’importance n’est pas contestée, accompagnant le basculement vers l’Asie de l’économie mondiale, ne saurait que profiter aux entreprises françaises, qui manifesteraient ainsi un esprit d’équilibre entre les institutions anciennes et celles plus nouvelles.
Ce qui serait favorablement accueilli en Asie où la prédominance des institutions situées en Europe est critiquée, par exemple celle de LCIA (The London Court of International Arbitration) remise en cause par la Chine constatant que la majorité du trafic maritime international se situe en Asie.
Le Chartered Institute of Arbitrators de Londres ou l’International Mediation Institute de La Haye, auxquels est affilié l’auteur de ces lignes, demeurent des institution respectées comme créatrices de normes pour une qualification internationale des arbitres et des médiateurs, mais la mise en œuvre sur le terrain en Asie se réalise (quoique selon des règles suffisamment intégrées aux principes mondiaux notamment via la référence à UNCITRAL) avec des caractéristiques asiatiques adaptées aux réalités du nouveau centre du monde.
Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).