Dans ces newsletters, nous ne manquons pas de souligner l’importance et même la nécessité d’une approche globale de la gestion juridique des ressources humaines en Asie-Pacifique, ou Indo-Pacifique. Quel que soit le nom donné, une zone cohérente s’étendant de l’Inde à l’Australie où prévaut la common law d’inspiration britannique adaptée dans l’indépendance nationale aux caractéristiques de chacune des juridictions concernées.
Au moment de dégager les tendances de 2021, devant un paysage humain et juridique bouleversé par la présence plus longue qu’anticipée du virus pandémique, couvrir toutes ces juridictions serait une tâche dépassant le cadre d’une simple lettre d’information.
Nous avons donc fait le choix d’une d’entre elles, typiquement innovatrice et réactive à l’évolution des affaires, c’est-à-dire Hong Kong.
Les problèmes auxquels les employeurs ont dû faire face à Hong Kong sont représentatifs de ceux mis au jour dans les autres juridictions de notre zone de prédilection. Les solutions peuvent être différentes ailleurs, mais pas fondamentalement.
Lorsqu’il s’agit pour les directions juridiques et relations humaines de trouver une boussole dans ces temps opaques, ce qu’il s’est passé à Hong Kong constitue une référence de premier choix.
Lettre d'information N°9 - Décembre 2021
I L'employeur et l'obligation vaccinale
En droit de Hong Kong, un employeur ne peut donner un ordre (comme celui de se faire vacciner) à un employé que si cet ordre est légal “lawful” et raisonnable “reasonable”, mais ce droit lui est reconnu à ces conditions.
Le droit de l’employeur comporte jusqu’à celui de licencier avec effet immédiat pour faute grave l’employé qui refuse un ordre valide selon la Section 9(1) de l’Employment Ordinance (Cap. 57)
Il est aisé de satisfaire le premier critère, puisqu’aucune loi de Hong Kong n’interdisant la vaccination, la demande ne peut être “illégale”.
Toutefois, il faut prêter attention à ce que la vaccination, si elle est imposée, le soit à l’ensemble des employés, pour éviter le risque d’accusation de discrimination, pratique sanctionnée en droit de Hong Kong. Il en va de même en ce qui concerne la distribution des incitations, sous forme de bonus ou de jours de congés pour les employés acceptant la vaccination.
Le critère du raisonnable est plus complexe à analyser. Les employés peuvent avoir des positions personnelles différentes sur le sujet, ce qui est un élément subjectif. Mais il est à prévoir que les tribunaux de Hong Kong appliqueraient un critère objectif, prenant en compte le degré d’exposition au risque de chaque employé. Dans l’attente de jurisprudence, il est prudent de documenter chaque décision afin de pouvoir la justifier par la suite.
II L'employeur et l'obligation de test
La question est encore plus complexe lorsqu’il s’agit de délimiter la simple demande de test par l’employeur.
Selon l’Occupational Safety and Health Ordinance (Cap 509) (“OSHO”), les employeurs sont tenus, en conformité des principes généraux de common law, de prendre toutes mesures raisonnablement accessibles pour assurer la sécurité et la santé de leurs employés sur le lieu de travail. Réciproquement, les employés doivent coopérer avec leur employeur à cette fin. Mais comment ceci sera interprété dans un contexte de pandémie, particulièrement en cas de refus de l’employé, reste à définir par la jurisprudence.
Soulignons que le résultat des tests ne peut être conservé par l’employeur qu’avec extrême précaution au regard de la Personal Data (Privacy) Ordinance (Cap. 486).
III L'embauche directe en télétravail
Avec la pandémie et la généralisation du télétravail, de nombreux employeurs ont procédé à des embauches directement sous cette forme. Généralement pour des tâches de nature intellectuelle, comme du développement sur internet, mais d’un point de vue juridique cette forme d’emploi ne se distingue pas d’une formule plus terre-à-terre : celle des chauffeurs sur le modèle dit “Uber”.
Quel sera le statut de ces employés d’un nouveau type ? Il est encore difficile de le prédire.
À Hong Kong, les tribunaux ont penché en faveur des chauffeurs, auxquels ils ont reconnu la situation d’employé dans l’arrêt de la Court of Final Appeal de 2007 Poon Chau Nam v Yim Siu Cheung.
À l’inverse en Australie, la Fair Work Commission a refusé ce statut aux chauffeurs dans une décision de 2020 Amita Gupta v Portier Pacific & UberAustralia Pty Ltd.
Le cas de travailleurs intellectuels recrutés sans présence physique demandée, ni même autorisée sur un lieu de travail, demeure donc incertain.
IV L'examen médical
À Hong Kong, les employeurs peuvent imposer une visite médicale pré-embauche et refuser l’embauche en cas de refus du candidat de s’y soumettre, à condition de respecter les conditions posées par la Disability Discrimination Ordinance et la Personal Data (Privacy) Ordinance.
Comment ce droit devra s’adapter aux candidats, envers leur choix de vaccination et leur état de contamination, reste à déterminer. Dans l’intervalle, des précautions de forme et de fond doivent être créées ex nihilo par l’employeur, de sa propre initiative, pour se prémunir des actions éventuelles mettant en cause sa responsabilité.
V Le licenciement en période de maladie
Selon l’Employment Ordinance (Cap. 57), sauf cas de licenciement pour faute grave, un employeur ne peut licencier un employé en congé maladie, sauf dans les périodes de congé maladie non rémunéré où le paiement du préavis contractuel est suffisant.
Un état de “long covid” sera-t-il considéré comme relevant de cette dernière catégorie ou les tribunaux élaboreront-ils des règles spécifiques à la pandémie ?
Ceci étant à considérer au regard du principe général en droit de Hong Kong (à la différence d’autres juridictions de common law en Asie comme la Malaisie) selon lequel un employeur peut résilier un contrat de travail sans donner de motif, le respect du délai de préavis contractuel étant suffisant pour établir la validité du licenciement. Ce principe ayant été réaffirmé récemment encore en 2021 par la Court of First Instance dans son arrêt Lam Siu Wai v EqualOpportunities Commission.
VI La disponibilité de l'employé hors lieu de travail et ses limites
La disponibilité à répondre aux interrogations et demandes de l’employeur devra être appréciée via l’adaptation de règles juridiques dégagées avant la pandémie ou indépendamment de celle-ci.
Par exemple, dans un arrêt de 2021 Breton Jean v 香港丽翔公务航空有限公司 (HK Bellawings Jet Limited), il a été jugé par la District Court de Hong Kong qu’un employé ne pouvait pas être licencie pour ne pas avoir répondu à un appel de l’employeur durant une période de congé.
VII Le retour au travail
Comme indiqué ci-dessus, les employeurs doivent se conformer à OSHO et prendre des mesures de leur propre initiative, pour assurer la sécurité et la santé donc, dans le cas présent, la réinsertion de l’employé après une période d’absence, prenant considération, le cas échéant, l’altération de ses capacités. Qui peuvent être ses capacités intellectuelles et son état mental, la doctrine prévoyant que les tribunaux de Hong Kong prendront inspiration dans l’arrêt anglais Barber v Somerset County Council de 2004.
VII Le refus de retour au travail
Le retour au travail, et pas seulement sur le lieu de travail mais au travail tout court, se constate chez un nombre croissant de personnes.
Une pratique de plus en plus répandue consiste, pour des candidats ayant accepté un poste, de se désister et souhaiter reprendre leur liberté après voir signé toute la documentation formalisant leur nouvel emploi. Le recours de l’employeur est alors souvent limité, même si le contrat de travail ou la lettre d’embauche contient une clause de préavis, pouvant être considérée en common law comme une “penalty clause” nulle de plein droit.
Toutefois, dans Law Ting Pong Secondary School v. Chen Wai Wah de 2021 la Court of Appeal de Hong Kong a contraint l’employé à verser à son employeur, rejeté avant même l’entrée en fonction, l’équivalent des trois mois de salaire du préavis contractuel.
Ceci constitue un véritable tournant dans la jurisprudence des tribunaux de Hong Kong, qui jusqu’alors considéraient une telle clause comme nulle car constituant une “penalty” si son objet réel était de dissuader l’employé plutôt que de calculer à l’avance un montant de compensation. Par la décision précitée, Hong Kong s’est rallié à la doctrine “moderne” de la UK Supreme Court dans Cavendish Square Holdings BV v Talal El Makdessi [2016] AC 1172, selon laquelle une clause est une “penalty” seulement si elle est hors de proportion avec les intérêts de la partie qu’elle doit protéger.
En conclusion...
Hong Kong, comme les autres juridictions de common law d’Asie Pacifique, est à la recherche de solutions juridiques adaptées au nouveau contexte, s’appuyant sur ses principes généraux et spécialement celui de “raisonnable”. Son évolution est donc à suivre de près car elle guidera ou au minimum sera révélatrice de l’état du droit dans l’ensemble de la zone géographique en 2022 et au delà.
Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).