Un parcours sans faute dans la gestion internationale de la pandémie sera une clef de la réussite de l’entreprise dans le “monde d’après”, et les responsables RH sont en première ligne, leur rôle plus primordial que jamais. Pour eux et pour les juristes qui les assistent il ne suffira pas de s’être assuré du respect des droits nationaux applicables (I) il faudra également prendre en compte comme guides les pratiques d’autres juridictions (II), ainsi que ne pas ignorer la protection d’un groupe fréquemment oublié, celui des administrateurs nommés dans les filiales (III), et finalement intégrer dans les procédures internes les thèmes mondialement émergents dans les législations des autres pays (IV).
Pour être en position de garder et de recruter les meilleurs en sortie de crise, l’entreprise devra montrer que pendant ledéroulement de la crise non seulement a-t-elle a géré les relations du travail dans le respect des personnes et du droit mais également intégré par anticipation et avant même d’y être forcée par son droit local des thèmes actuels et mis en exergue dans d’autres juridictions comme l’égalité de traitement, le véganisme, le “vol des salaires”, etc.
En s’alignant sur les critères les plus exigeants, ce qui peut se réaliser sans effet négatif sur la productivité, toute entreprise peut devenir un “bon employeur global“. Le bénéfice est double : se prémunir contre des actions en responsabilité, et retenir ou attirer un personnel ayant conservé ses compétences mais fragilisé dans sa confiance envers tout employeur.
Tout particulièrement en ce qui concerne les PME/ETI la pandémie fournit une opportunité unique et sans précédent de concurrencer les grands groupes dans le recrutement de personnel de qualité. Moins de perspective de carrière évolutive chez ces plus petites structures peut être compensé auprès d’une force de travail en quête de compréhension et de sécurité par une prise en compte des aspirations individuelles et une image de bon employeur global, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Lettre d'information N°6 - Le "Bon employeur global", vainqueur ultime de la pandémie
I Respecter les droits du travail nationaux
La première obligation dans la gestion de la pandémie est bien évidemment de respecter les règles de droit telle qu’elles étaient déjà en vigueur avant la crise sanitaire: le chômage partiel (suspension totale ou partielle de rémunération en contrepartie d’une promesse de réembauche), les licenciements économiques, et de contractualiser de façon équitable et juridiquement valide les accords d’adaptation aux circonstances exceptionnelles conclus avec les employés, que ce soit à titre individuel ou collectif.
Comparé au droit français du travail, les règles sont parfois plus favorables à l’employeur. En matière de licenciement économique, le droit de l’employeur à se réorganiser même en l’absence de situation de détresse est généralement reconnu et aucun autorisation administrative préalable n’est requise.
Mais en parallèle existent des procédures sans équivalent en droit français telles que domestic inquiry, show cause letter, PIP, etc.
Le PIP ou “Performance improvement plant” est un bon exemple. Parfois obligatoire parfois recommandable à titre de précaution pour l’employeur, le plan doit comporter un échelonnement de mesures permettant à l’employé à qui l’on reproche une performance insuffisante de s’améliorer afin de conserver son emploi.
Le PIP est plus qu’une simple obligation sur le papier. Par un arrêt récent la Federal Court d’Australie a considéré un employé mis sous PIP comme licencié sans cause réelle et sérieuse parce que le PIP lui a semblé n’avoir pas comporté les différentes étapes permettant à l’employé de s’améliorer avec l’aide de son employeur.
II S’inspirer des bonnes pratiques d’autres pays
L’extension du travail à distance est une des composantes principales de l’adaptation des entreprises à la pandémie. En raison de la nouveauté de la pratique, chaque pays a élaboré indépendamment ses propres règles juridiques.
En Australie par exemple, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en cas de préjudice subi par l’employé s’il n’a pas mis en place des procédures portant sur l’aménagement de l’environnement de travail au domicile personnel de l’employé, la possibilité de communiquer avec l’employeur en cas d’urgence, la disponibilité de services de secours, etc.
Cas extrême peut-être, mais la Supreme Court of Appeal de New South Wales en 2020 a jugé que les enfants d’une employée en télétravail tuée un matin par son compagnon avaient droit à compensation de la part de l’employeur alors que la victime était encore en pyjama au moment du meurtre.
Ces procédures gagnent à être examinées dans le détail et transposées ailleurs, après adaptation aux circonstances de l’entreprise et dans le respect du droit local de destination.
Mais le cadre juridique du télétravail ne se résume pas aux aspects de bien-être et de sécurité. D’autres angles sont à considérer, et les “hubs” régionaux y ont particulièrement réfléchi, il est avisé de profiter de leur réflexion.
A Hong Kong par exemple, les responsables RH et juridiques considèrent divers aspects :
- Création d’une présence fiscale de la société / établissement stable au sens fiscal dans l’autre pays.
- Fiscalité personnelle de l’employé dans l’autre pays
droit de l’employé à travailler dans l’autre permis (permis de travail…). - Conformité aux règles applicables à certaines activités dans l’autre pays, par exemple les activités financières.
- Applicabilité du droit du travail de l’autre pays
Droit de l’employé aux avantages garantis dans le pays d’origine. - Sécurité et santé de l’employé dans l’autre pays.
- Modifications éventuelles du contrat de travail de base / statut de détachement ou d’expatriation, et sans structure d’accueil / portage.
III Protéger les administrateurs délégués dans les filiales
Comme souligné dans notre précédente newsletter, il est de plus en plus fréquemment fait appel à des cadres supérieurs du siège avec lesquels existe par conséquent un lien de travail en plus de leur mandat social.
La nomination d’administrateurs “non exécutifs /non résidents” censés assurer un contrôle du siège sur la filiale ne devrait pas intervenir sans conscience de la responsabilité qui en découle tant pour les individus que pour les sociétés mères.
Or, les obligations sont étendues et constamment croissantes, ainsi que les sanctions civiles et pénales.
Ces obligations dérivent dans chaque juridiction des principes généraux de common law communs à l’ensemble de celles-ci et de leur adaptation par la législation locale.
Pour rappel, ces principes se repartissent d’une part en “fiduciary duties” (exercer ses pouvoirs pour le bien de la société, exclusivement et avant les intérêts d’un actionnaire en particulier – ce qui est à examiner de près en cas de présence au capital d’un actionnaire local, personne physique ou morale) et avant les intérêts de l’actionnaire lui-même qui doivent être subordonnés à ceux de la société dont la personne concernée est administrateur, fusse-t-elle une filiale à 100%) et d’autre part en “duties of skills and care“.
Un exemple de l’interpénétration des juridictions de common law est à propos de “exercise care, skill and diligence” l’adoption en droit de Hong Kong du “standard” du Modern Corporation Act des USA et la substitution au critère subjectif (compétence raisonnablement attendue d’une personne ayant la connaissance et l’expérience de l’administrateur) d’un critère objectif (l’attention à ses devoirs qu’une personne placée dans la même position jugerait appropriée pour exercer son mandat).
Les règles concernant les conflits d’intérêt et abus de fonction sont connues des administrateurs délégués et il est aisé de ne pas les transgresser. Sauf dans les cas d’insolvabilité de la filiale, la responsabilité des administrateurs n’est usuellement mise en cause que dans des circonstances de violation délibérée.
Mais le sujet est loin de se limiter au droit des sociétés, comme on semble le considérer fréquemment, il est étroitement rattaché au droit du travail, pour deux raisons :
- La question de la responsabilité personnelle civile et pénale des administrateurs est infiniment plus complexe que brièvement résumée ci-dessous, en développement contant vers plus de devoirs et responsabilités des administrateurs, et il est illusoire car inopérant comme moyen de défense de se retrancher derrière le “company secretary” dont la fonction est de nature purement administrative et pas de conseil.
- Une jurisprudence constante et commune à tous les pays de common law considère les administrateurs responsables de la santé et sécurité des salariés (“health and safety”).
Les sanctions peuvent être lourdes, même pour une simple omission dont l’administrateur n’était pas informé, au motif qu’il “aurait dû savoir”.
Pour prendre deux exemples récents :
- En Australie en 2020 un administrateur (director) a été condamné à dix mois d’emprisonnement dont quatre mois ferme et sa société à 1 million de dollars australiens pour n’avoir pas pris les mesures ayant pu empêcher la chute d’un employé.
- Dans le même État du Queensland, et dans une circonstance plus grave pour l’employé, la société a été condamnée à verser 3 millions de dollars australiens et les deux administrateurs à 10 mois d’emprisonnement.
En résumé, le poste d’administrateur de filiale étrangère a fortiori à l’autre bout du monde n’est pas un titre de courtoisie, c’est un poste réel qui doit être accepté en toute connaissance et assumé comme tel par celui à qui on le propose.
Dans la mesure où les administrateurs sont également des cadres de la société qui les nomme sur des boards étrangers, ne pas les informer de leurs devoirs et obligations, des conséquences des manquements éventuels, et ne pas les guider tout au long de leur mandat dans un environnement juridique qui leur est le plus souvent étranger, est de nature à engager la responsabilité de la société en droit du travail français et devant les juridictions françaises.
IV Intégrer par avance les thèmes émergents, le critère ultime du “bon employeur global”
En sortie de crise, une pénurie de main d’œuvre qualifiée, motivée et fidèle va se révéler. Surtout en Asie Pacifique, réaffirmé comme nouveau centre économique du monde.
Seront les gagnants ceux qui pourront alors se présenter comme “bon employeur“.
Et ceci se fera en démontrant que même en période de crise, l’employeur s’est comporté en “bon employeur”. Ce qui inclue au delà du respect des droits et bonnes pratiques comme exposé ci-dessus, le “non essentiel” que le “bon employeur” a pris en considération durant la crise.
Esclavage moderne
En Australie, la date d’entrée en vigueur du Modern Slavery Act a certes été repoussée mais seulement jusqu’à la fin de l’année 2020/premier trimestre 2021. Ce qui se traduit par une obligation de recensement des risques, mesures destinées à les identifier, et reporting aux autorités.
Le principe est en voie de s’étendre à d’autres pays comme le Royaume Uni, pouvant ainsi devenir un autre concept global.
Vol des salaires
Une autre caractéristique typiquement australienne est le “wage theft”, la sanction imposée en cas du versement de salaires inférieur au droit de l’employé au titre d’un système complexe dénommé Modern Awards. Des sociétés importantes ont ainsi été mises en cause par le Fair Work Ombudsman, et ont avancé sans succès comme excuse le caractère non intentionnel du sous-paiement.
Des États en ont fait une infraction pénale, Victoria d’abord puis Queensland.
Dans le Victoria, les sanctions prévues peuvent aller jusqu’à 1 million de dollars australien pour la société et 10 ans d’emprisonnement pour les administrateurs (directors). Avec un référence au concept plutôt vague donc dangereux pour l’employeur de “corporate culture”…
Égalité des sexes et autres discriminations
L’égalité homme/femme est un sujet majeur dans tous les pays y compris la France, et en développement, mais un DRH français ou juriste de droit social ne peut se contenter de se fier à son interprétation du principe, il faut tenir compte du cadre juridique local.
Par exemple en Australie, l’État de Victoria a passé une loi applicable à partir du début mars 2021 imposant aux entreprises de plus de 50 salariés un Gender Equality Plan assorti d’obligations de reporting et de sanctions.
A Hong Kong, les changements au Employment Act sont entrées en vigueur en 2020, portant sur le congé maternité et la preuve d’incapacité pour la femme enceinte, et la réforme de la loi sur la discrimination au travail. Le Sex Discrimination (Amendment) Bill 2020 entré en vigueur le 19 juin 2020 comporte des avancées considérables : protection de l’allaitement, interdiction de discrimination raciale basée non pas sur la personne mais sur un “associate” tel qu’époux/épouse, compagne/compagnon, même personnel de maison, et ceci désormais même sans intention de discrimination, extension du champ aux “workplace participants” sans lien employeur/employé comme des stagiaires ou volontaires.
Véganisme
Le véganisme est dans certaines juridictions considéré comme une croyance (“belief”) et le non-respect de cette croyance comme une discrimination engageant la responsabilité de l’employeur.
Dans un cas devenu célèbre de 2020 Casamitina v The League against Cruel Ports, l’Employment Tribunal au Royaume Uni a décidé que le véganisme était une croyance philosophique, ce qui d’ailleurs était reconnu par l’employeur. Le demandeur avait souligné la distinction entre véganisme pour raison alimentaire et pour raison éthique.
Compte tenu de l’ampleur du phénomène au Royaume Uni et de la résonance médiatique qui s’y trouve associée, il y a fort à parier que le véganisme deviendra l’un des thèmes majeurs pour les DRH et juristes de droit social dans le futur proche, en particulier dans les juridictions de common law.
Reporting
Depuis le 1er juillet 2020, les sociétés cotées en Bourse de Hong Kong doivent compiler et révéler une liste comportant la composition de leurs employés par genre/sexe, type d’emploi, groupe d’âge, région géographique et turnover pour chacune des catégories, les accidents du travail, les mesures de sécurité et d’hygiène y compris pour les conditions psychologiques, et la formation décrite de façon détaillée pour chaque catégorie susvisée.
Seules les sociétés cotées sont concernées, mais cette incursion du Hong Kong Stock Exchange dans le domaine social est significative d’une tendance.
En conclusion...
Une veille dynamique de l’évolution du droit est indispensable, tant pour se mettre en conformité localement que dans une vision d’inspiration transnationale de “Bon employeur global“.
Ceci doit être à “deux niveaux” global et local. Des principes reconnus mondialement peuvent faire l’objet de déclinaisons différentes en fonction des réalités locales.
Plus que jamais, il faut s’informer, prévenir, agir, ignorance n’est pas excuse et le champ d’investigation de ce qui peut constituer une “faute” de l’employeur ne cesse de s’étendre, ainsi que par voie de conséquence la responsabilité de conseil des juristes en droit social et des DRH auprès de la direction générale de l’entreprise. Pour eux, responsabilité accrue = rôle accru.
Vous avez apprécié le contenu de cette Newsletter ? Nous serions honorés de vous compter parmi nos lecteurs. La page d’inscription est à votre disposition.
Nous garantissons la confidentialité de vos données. Leur usage sera strictement limité à l’envoi de notre Newsletter. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment grâce au lien prévu dans chacune de nos Newsletter.
Pour des précisions en rapport avec les thèmes évoqués ou des sujets connexes, merci de nous consulter via notre page contact.
Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).