Joint-Venture en Chine
Il est notoire qu’établir une Joint-Venture (“JV”) en Chine avec une ou plusieurs parties chinoises est une aventure aussi risquée qu’elle peut être bénéfique en cas de succès. Il est non moins reconnu que nombre de telles JV échouent dans des conditions très coûteuses pour la société étrangère.
En connaître les causes, afin d’en tirer des enseignements et d’éviter la répétition des erreurs des autres est d’une utilité évidente mais très difficile puisque les différends sont à peu près exclusivement résolus par voie d’arbitrage, par nature confidentielle, et les parties sont naturellement peu soucieuses de révéler sur la place publique les détails de leur mésaventure.
C’est ce qui donne une valeur exceptionnelle de référence au jugement de la cour commerciale internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) en date du 24 mai 2019.
Lettre d'information N°4 - Une Joint-Venture étrangère en Chine devant la cour commerciale internationale de Singapour
Introduction
Le cheminement de la Joint-Venture, depuis les premiers contacts entre partenaires potentiels jusqu’à la fin de leur relation est décrit et analysé en détail dans un jugement de 203 pages, émis à l’issue d’une procédure dont le seul volume principal de preuves comportait 24 dossiers distincts et 11 300 documents, et ayant donné lieu à la communication entre parties (“disclosure”) de 27 108 documents repartis en 70 volumes.
Outre qu’il met en relief des écueils à éviter, ce jugement conduit à une réflexion plus générale : ne faudrait-il pas dédoubler dans l’accompagnement juridique d’un projet complexe tel que celui-ci (deux pays, deux droits, deux systèmes juridiques civiliste/common law, deux cultures des affaires et des relations avec les administrations) la partie “transactionnelle” et la partie prévention des litiges ?
Par fonction, l’avocat “transactionnel” cherche à optimiser les chances de succès tandis que l’avocat “litiges” intervenant à priori cherche à minimiser les risques en cas d’échec. Faire intervenir l’un et l’autre de façon complémentaire mais distincte dans le déroulement d’un projet ne serait-il pas un moyen d’atteindre les deux objectifs ?
C’est en tout cas ce qui a cruellement manqué dans cette affaire Bachmeer Capital vs Ong, KOP et autres.
Les acteurs
Les partenaires
Madam Hu, très riche Chinoise ayant fait fortune dans les centres commerciaux, autres investissements immobiliers et présidente d’une entreprise de vêtements en République Populaire de Chine.
Mme Wang, fille de la précédente, MBA Harvard, contrôle une société chinoise du nom de Bachmeer Capital Limited. Nationalité également chinoise de République Populaire.
Mme Ong, riche Chinoise de Singapour, formée en Angleterre, exerçant d’abord une carrière d’avocate au sein de son propre cabinet, puis reconvertie dans l’immobilier.
Mme Suparman, singapourienne et partenaire en affaires de la précédente. Expérience professionnelle comprenant une société dans le domaine de l’immobilier à Shanghai.
Mesdames Ong et Suparman sont les deux actionnaires d’une société cotée à la Bourse de Singapour dénommée KOP Limited, dont elles sont respectivement Executive Chairman et Chief Executive Officer. Cette société a diverses filiales dont KOP Limited et KOSPG.
Monsieur Shport, citoyen russe vivant à Singapour, un “petit” investisseur dans le projet, quoique à hauteur de 1 million dollars US.
Les experts juridiques
Les entités
- Bachmeer Capital Limited, société de droit chinois détenue par Mme Wang.
- “Bodi”, nom donné à la filiale à 100% de KOPHK en République Populaire.
- KOP Limited, société de droit singapourien, cotée à la Bourse de Singapour, détenue et dirigée par Mme Ong et Mme Suparman.
- KOPSG, société de droit singapourien, filiale à 100% de KOP Limited.
- KOPHK, société de droit hongkongais située à Shanghai, filiale de KOPSG et de Bachmeer Capital Limited.
- “West Hongqiao”, une société commerciale dont le nom complet est “Shanghai West Hongqiao Commercial Development Co. Ltd.”, constituée par le district de Qing Pu (où le projet doit initialement être réalisé) dans la Province de Shanghai en vue d’assurer la construction et le développement de Shanghai Hongqiao Central Business District.
Résumé de l'intrigue
Le projet
Au début de l’année 2012, Mme Ong et M. Shport se rencontrent à Singapour, et évoquent un plan élaboré par M. Shport consistant à créer une station de sport d’hiver (en climat tropical !), comprenant pistes de ski, hôtels, magasins, restaurants et autres en Asie. Le nom du projet est le “Winterland Concept“).
La réalisation est envisagée tout d’abord à Singapour mais le plan n’étant pas retenu par l’office de tourisme de Singapour (Singapore Tourism Board), les partenaires ne se découragent pas. Ils signent deux “memoranda of understanding” en 2012 et explorent la possibilité de réaliser le projet à Jakarta et à Hong Kong.
Mme Suparman, qui a connu Madam Hu et M. Wang dans le passé, les présente à Mme Ong. Des réunions ont lieu à Shanghai en 2013, à la suite de quoi les protagonistes s’entendent pour “travailler ensemble”, dans le principe et sans plus de précision.
La création d'une société à Hong Kong
L’accord entre les protagonistes demeure vague. Au fil des échanges, il est parfois qualifié de “collaboration“, de “Joint Venture” ou de “partnership“.
Sa seule expression écrite réside dans l’annexe à un email de Madame Wang à Madame Ong en mai 2013, qui décrit une structure on ne peut plus classique :
– Création d’une société à Hong Kong dans laquelle les deux partenaires seront co-actionnaires dans une proportion 51/49 : 51% pour la partie étrangère qui apporte l’essentiel du financement (KOPSG), 49% pour la partie chinoise qui apporte l’entregent nécessaire à la réussite supposée du projet (Bachmeer Capital Limited) ;
– Création d’une filiale à 100% de la société précédente en République Populaire de Chine.
En septembre 2013 le projet se précise. Mme Wang apprend l’existence du projet Winterland Concept et après discussion avec Mme Ong et Mme Suparman, les trois décident d’étudier la possibilité de le réaliser en Chine.
En octobre 2013 KOPSG choisit le district de Qing Pu comme lieu d’implantation du projet sur la recommandation de Mme Wang.
Un obstacle de taille se révèle pourtant, et non des moindres : pour réaliser le projet, il faut au préalable détourner une rivière et détruire une route principale ! Ceci bien entendu nécessite l’accord des autorités compétentes, qui signent un accord-cadre mais dans lequel ces travaux majeurs ne sont ni mentionnés ni a fortiori autorisés, puis d’autres accords non contraignants ni opposables aux occupants des lieux.
Dissolution de la Joint-Venture
In fine, le terrain ne peut être rendu propre à la concrétisation du projet et les parties décident d’un commun accord de mettre fin à la JV. Mais Mme Ong et sa société KOPSG continuent de négocier avec des autorités chinoises en vue d’implanter un autre projet à proximité de Shanghai.
Le cœur du litige entre partenaires chinois et partenaires singapouriens est que les premiers accusent ces derniers d’avoir détourné le projet à leur profit en le déplaçant de son emplacement d’origine à un autre emplacement (Lin Gang), à leur insu et à leur détriment.
Les partenaires chinois allèguent qu’à la date de signature de l’accord entérinant la dissolution de la JV, les partenaires singapouriens avaient déjà posé les jalons du second projet avec certaines autorités chinoises sans le révéler et que s’ils avaient en été informés ils n’auraient pas signé la convention mettant fin à la JV. Ils suggèrent même que Mme Ong a sciemment fait échouer le Winterland Concept pour le reprendre à son compte dans un autre emplacement autour de Shanghai.
Mme Wang et Madam Hu y voient une trahison, et engagent une action devant la High Court de Singapore. Le dossier est transféré par celle-ci à SICC qui le confie au juge international (“International Judge”) Sir Vivian Ramsey.
Un manque de supervision de la gestion au quotidien par l’investisseur étranger.
Très tôt dans le projet, les parties conviennent de confier la gestion quotidienne à Mme Wang et Madam Hu ainsi que la liaison avec les autorités locales en vue de l’acquisition des terrains.
Ce partage de compétences, quoique fréquent dans l’établissement d’un projet sino-étranger, se révélera fatal par la suite et confirme l’imprudence de confier la liaison avec les autorités et la gestion locale aux seuls partenaires chinois.
Le "troc" entregent local contre investissement financier et le manque de trésorerie.
Au stade initial des discussions, la contribution de la partie chinoise ne comprend pas d’élément de nature financière.
Un arrangement dans lequel la partie chinoise ne contribue pas financièrement à la JV est certes une pratique courante, mais généralement en échange d’une contribution en nature, typiquement sous forme de mise à disposition de terrains en plus des “mises en relation”.
Dans le cas présent où le rôle du partenaire chinois est purement celui d’un facilitateur et co-opérateur, le choix est surprenant, d’autant plus que les parties chinoises étaient réputées fortunées. Il en a résulté un déséquilibre des intérêts et du pouvoir qui s’est révélé préjudiciable aux bonnes relations et donc à la JV elle-même.
Lorsque Mme Ong a proposé à Mme Wang de devenir actionnaire de KOPSG c’était en tant que “nominee” c’est-à-dire sans bourse délier, ce qui n’a pas empêché Mme Wang d’être nommée directrice business développement de KOPSG avec un salaire mensuel de 8 000 dollars singapouriens. Une somme plus que confortable pour la Chine (environ 5 325 €) et par surcroît non imposée en Chine puisque versée à Singapour.
Lorsque les besoins de trésorerie sont apparus pour Bondi, la filiale à 100% de la société commune à Hong Kong, les défauts de cette solution sont apparus.
Plutôt que le “détournement” allégué du projet, le Juge de la SICC dans cette affaire, Sir Vivian Ramsey, a privilégié l’hypothèse selon laquelle c’est le refus par Mme Wang de contribuer au financement de Bodi à hauteur du montant demandé par Mme Ong et Mme Suparman, qui est la vraie cause du divorce.
Des flux financiers à la qualification ambiguë
Sans entrer dans les multiples méandres des arguments contradictoires entre les parties, on peut mentionner l’ambiguïté quant à un versement de 2 millions de dollars US à Madam Hu “et/ou” Mme Ong, dont il n’a pas été établi au moment du transfert s’il s’agissait d’une rémunération en tant que consultantes auprès des autorités chinoises, d’un versement destiné à leur permettre de contribuer au capital de l’une des entités, d’une compensation pour l’acceptation par les parties chinoises d’être minoritaires dans la société créée à Hong Kong, ou bien encore d’un “success fee” dépendant de la conclusion d’un accord avec les autorités chinoises approuvant le Winterland Concept…
Un flou accepté dans les méthodes comptables préjudiciables au contrôle des finances
Le recours par Bodi à une comptabilité parallèle dénommée Green Book et à un système de fausses factures destiné à contourner la difficulté d’obtenir des factures officielles (“fa piao”) de la part de certains experts et designers, n’a pas contribué à la clarté des lieux et a donné lieu à des disputes, notamment sur la justification et le montant des dépenses.
Un comportement dispendieux avant même le début du projet, et (pire) la moindre certitude quant à sa capacité de réalisation
Les dépenses engagées avant même le début du projet et dans l’incertitude de sa réalisation ne s’arrêtent pas là puisqu’en avril 2014, les parties conviennent d’un salaire mensuel de 28 000 dollars singapouriens (18 655 €) pour Mme Wang, 35 000 dollars singapouriens (23 300 €) pour sa mère Madam Hu, la location d’un appartement et d’une Porsche Cayenne avec chauffeur pour Mme Ong en Chine…
Mme Wang poursuit alors l’acquisition du terrain nécessaire au projet et engage une série de consultants divers, internationaux et coûteux. Ceci alors même que Mme Wang avait pour seule mission de négocier avec les autorités du district en vue de l’acquisition du terrain de façon juridiquement valide et au meilleur prix.
Ces consultants sont Colliers International Property Consultants (Shanghai) Co., Ltd pour réaliser une étude de faisabilité, et deux cabinets d’architectes l’un établi aux États-Unis Kohn Pedersen & Fox Associates en vue de fournir l’“architectural design consultancy services for Project Shanghai Winterland” et au niveau local pour assister en rapport avec les règles d’urbanisme East China Architectural Design and Research Institute.
Sans mettre en doute ni la compétence ni l’intégrité de ces cabinets, on peut s’interroger sur la pertinence de les engager tellement en amont dans le projet, alors que l’acquisition du terrain n’est pas réalisée et que des plans du niveau de qualité et de précision attendu de ces professionnels n’étaient pas réclamés par les autorités chinoises.
En outre, Bodi a cru bon d’engager par contrat, afin d’assurer le “project management”, un premier cabinet puis un autre détenu par nul autre que M. Shport.
Le contournement de la structure commune en Chine par l’investisseur étranger
L’entité juridique mise en place en Chine n’est utilisée… que pour générer des coûts, mais le projet demeure piloté par les actionnaires. Les différentes entités interviennent sur le projet sans coordination ni logique apparente.
La première étape, toujours selon un schéma “classique” est la signature d’un accord de principe avec l’organisme créé par le district de Qing Pu en vue du développement et de la construction du Shanghai Hongqiao Central Business District.
Une cérémonie de signature a lieu, à laquelle est conviée Mme Ong qui signe devant les officiels le contrat cadre dénommé “West Hongqiao Framework Agreement”. Au nom, non pas de la société chinoise Bondi pourtant créée pour le projet, ni même de la société mère de Bondi à Hong Kong KOPHK, mais de l’actionnaire étranger de celle-ci KOPSG…
Des accords entre “partenaires” insuffisamment documentés
Les seuls accords écrits sont partiels et ne portent que sur des aspects secondaires de l’association.
Le droit applicable à la Joint-Venture elle-même, résultant d’échanges verbaux et de courriers épars, n’était donc pas précisé.
Dans ce vide juridique, les parties chinoises c’est-à-dire Mme On, Madam Hu et leur société Bachmeer Capital Limited, arguent que la Joint Venture était un partnership au sens de la common law et que par conséquent KPPSG et M. Shport étaient tenus par une obligation de bonne foi conformément au principe de “fiduciary duties“.
Ce que les parties singapouriennes rejettent, et cherchent à écarter le droit de Singapour, étant de common law, au profit du droit chinois, droit civiliste qui ne connaît pas le concept de “fiduciary duties”.
Ces parties soulignent que la Joint-Venture n’ayant fait l’objet d’aucun accord écrit, aucun droit applicable n’en résulte… et citent une série de décisions des tribunaux de Singapour pour tendre à démontrer que le droit singapourien n’est pas celui du contrat verbal !
Common law ou droit civiliste ?
La détermination du droit applicable est cruciale, puisque le devoir des parties à une JV, analysée comme une société, n’a pas le même contenu en droit de la République Populaire.
Selon ce droit, d’inspiration civiliste, les associés d’une JV sont tenus, comme le seraient les actionnaires de toute société, de se comporter de façon honnête, en conformité de la loi, et sans abus de ses droits. Ce que l’un des experts juridiques chinois interprète comme équivalent au “fiduciary duties” de common law, et l’autre réfute en se fondant dans une optique civiliste sur une interprétation stricte de textes applicables (sur lesquels les deux experts s’accordent quant à leur sélection) c’est-à-dire la Loi sur les Sociétés, les Principes Généraux du Droit Civil et les Règles Générales du Droit Civil, et accessoirement la Loi sur les Contrats tout en excluant et écartant expressément la Loi sur les Partenariats et la Loi sur les Trusts.
Le Juge International ayant examiné les circonstances de l’affaire, certains éléments en faveur de la common law comme la création de KOPHK à Hong Kong, d’autres en sens inverse comme le lieu devant accueillir le projet, et ayant pondéré 18 d’entre eux, conclut en faveur du droit chinois.
On ne peut dire qu’une solution s’imposait à l’autre, et ce n’est qu’à l’issue d’une réflexion approfondie que le Juge de la SICC a conclu en ce sens.
Cette incertitude aurait pu être évitée si les parties étaient convenues d’un droit applicable, qui aurait pu être aussi bien celui de Singapour que celui de la République Populaire de Chine.
Des accords avec les autorités chinoise ne dépassant pas le stade des intentions
En novembre 2013, un premier accord-cadre, désigné dans le jugement de la SCCI comme “Framework Agreement” est conclu entre West Hongqiao et KOPSG, aux termes duquel la partie chinoise, une agence publique, s’engage à coordonner les différents départements concernés et à négocier la délocalisation des occupants du terrain destiné au projet.
En effet, outre le détournement d’une rivière et d’une route, le projet nécessite le départ de plusieurs usines et des règles d’urbanisme doivent être modifiées : coefficient d’occupation des sols et hauteur maximale des constructions. L’accord prévoit également un échéancier pour l’acquisition des terrains.
En août 2014, un accord est conclu entre KOP Limited et West Hongqiao, document mettant l’accent sur “l’intention d’investissement” et évoquant les changements nécessaires de classification du terrain ainsi que les dates prévues pour l’acquisition des terrains. Cet accord est censé préciser le précédent, mais ne contient toujours au mieux qu’un engagement de “meilleurs efforts”. Or, les propriétaires des usines font obstruction à la délocalisation, et l’acquisition de terrains ne se matérialise pas.
Un projet de nouvel accord avec West Hongqiao en mai 2015 est encore plus vague que les précédents, et ne contient même plus de clauses relatives aux terrains et aux modalités d’acquisition.
Les accords successifs ne marquent aucune progression vers la réalisation de l’objectif final et même perdent progressivement en contenu jusqu’à ce que les investisseurs découvrent à leurs dépens à la fin 2014 et début 2015, que le changement de cours de la rivière, le détournement de la route et la délocalisation d’usines déjà implantées sur le site, éléments indispensables à la réalisation du projet, se heurtent à des obstacles insurmontables.
Les initiateurs du projet n’ont pas obtenu d’avoir un interlocuteur unique malgré les accords de principe conclus avec West Hongqiao.
Ceci est une autre caractéristique de certains projets en Chine qui, malgré le soutien d’une agence gouvernementale (qui peut être locale) finissent par échouer.
Par exemple, lorsque des réunions avec le Shanghai Planning Bureau conduisent à la conclusion selon laquelle la route ne peut être déplacée, la solution consistant à élever des bâtiments qui la surplombent relève de la compétence d’un autre département, le Shanghai Municipal Road Department.
On ne peut laisser dans le vague le champ des administrations amenées à donner un avis consultatif ou à prendre une décision (et la faire appliquer) sur chacun des aspects d’un projet, sans exception.
Une valeur ajoutée des partenaires chinois discutable
La collaboration directe entre l’investisseur étranger (singapourien) et les autorités chinoises semble mieux organisée et plus “professionnelle” que celle bénéficiant de l’aide supposée indispensable des partenaires privés chinois.
Un nouvel intervenant a fait apparition en janvier 2015, une entité dénommée Shanghai LuJiaZui (Group) Co., Ltd. (SLJZ). Après une série de réunions, KOPSG a signé un premier accord-cadre, puis un autre, avec SLJZ et à nouveau avec une nouvelle entité, Shanghai Harbour City Development (Group) Co., Ltd. (SHD).
Ces accords ont été suivis d’un “Accord de Coopération” prévoyant la création d’un projet similaire à Winterland (ce que les parties chinoises affirment et les parties singapouriennes contestent) dans un autre emplacement proche de Shanghai, le quartier de Pudong.
La chaîne des contrats entre KOPSG d’une part, SLJZ et SHD d’autre part suit un déroulement plus conforme aux pratiques usuelles, comprenant trois accords clairement marqués comme non contraignants (non binding) en juillet et août 2015, suivis d’un Accord de Coopération (“Cooperative Agreement”) désigné comme “legally binding”.
L’explosion des ressentiments personnels et l’accusation de diffamation
Dans leur défense, Mme Ong et KOPSG s’appuient sur des lettres contenant des affirmations injurieuses, notamment des accusations d’avoir “volé” les droits de propriété intellectuelle de Bodi, traité avec mépris les lois de la République Populaire de Chine, trompé les autorités, violé la loi chinoise, ce qui serait la preuve de la “dégénérescence morale” de Mme Ong.
Mme Ong, sans grande surprise, en a pris ombrage et déclaré que la véritable auteure de ces lettres, dont une sur papier en-tête de Bodi et les autres sur celui du cabinet d’avocats de Bodi, s’est rendue coupable de diffamation. Madam Hu a effectivement avoué durant le procès être l’inspiratrice de ces courriers adressés à diverses parties privées et publiques en Chine et à Singapour.
Diffamation en droit chinois ?
Le Juge a relevé que, puisque la matière relève du droit chinois, le terme exact est celui de “violation des droits d’autrui à sa réputation”.
Ce qui a donné lieu à un intéressant exposé du droit chinois sur le sujet.
Pour que la diffamation soit reconnue, il faut que quatre éléments soient réunis :
– Le comportement du présumé diffamateur doit être illégal ;
– La réputation de la victime doit avoir été atteinte aux yeux des tiers ;
– Il doit exister un rapport de causalité entre ces deux éléments ;
– L’auteur doit avoir intentionnellement cherché à atteindre la réputation de la victime.
Un expert en droit chinois a ajouté un autre élément : que les affirmations soient adressées à un groupe indistinct de personnes par opposition à des personnes clairement désignées, et précisé que des allégations adressées à une autorité publique, même inexactes, ne peuvent être retenues comme diffamatoires.
Diffamation en droit singapourien ?
Puisque les lettres ont été rédigées en Chine mais certaines reçues à Singapour, la question de l’existence du délit a été également examinée par le Juge en droit singapourien.
Celui-ci exige trois éléments pour que la diffamation soit constituée :
– Que le support soit “publié” ;
– Qu’il se réfère explicitement à la victime ;
– Que le contenu soit diffamatoire.
Ainsi que précisé dans un arrêt de la Cour d’Appel de Singapour, même si l’auteur des affirmations était convaincu à tort mais en bonne foi de la véracité de celles-ci, la diffamation est constituée en présence d’une intention de nuire comme motif de la publication.
Un aspect de complexité supplémentaire réside dans le fait que les lettres ont été rédigées dans un État et “publiées” dans un autre. Dans un tel cas, la jurisprudence constante des tribunaux de Singapour est que la diffamation doit être prouvée dans chacun des deux États pour être constituée à Singapour.
En l’espèce, le Juge a considéré qu’il n’y avait pas diffamation au regard du droit chinois parce que les lettres avaient été adressées à des personnes désignées ou à des autorités publiques, que ce soit en Chine ou à Singapour. Le “double test” n’étant pas satisfait, il a rejeté l’accusation de diffamation.
Plus généralement en rapport avec l’affaire dont il était saisi, il a conclu que le droit applicable à la relation entre les parties est soumise au droit chinois, appliqué le droit chinois et rejeté les demandes de Madam Hu et de Mme Wang.
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Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).