Implantations en Indo-Pacifique
Lorsque le monde se re-cloisonne, par l’effet des séquelles de la pandémie (restriction des déplacements, développement des conférences à distance) et des conflits entre blocs, une question se pose à propos des implantations en Indo-Pacifique : comment en conserver le contrôle, et au moindre coût ?
Le contrôle par la présence physique intermittente des émissaires du siège appartient largement au passé, pas seulement dans l’immédiat mais durablement pour des raisons budgétaires. La “distance” est devenue le maître mot.
Par quoi remplacer ce mode de contrôle ?
La solution la plus “économique” consiste à s’en remettre à la bonne gouvernance, prenant pour guide à la fois les principes internationaux et les principes locaux : le droit, la “soft law” et les pratiques propres à chaque lieu d’implantation de l’entreprise.
La phrase clef du développement durable “Penser global, agir local” trouve ici toute son application.
Implantations en Indo-Pacifique
Lettre d'information N°10 - Penser global, agir local
I Penser global : la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) comme guide
Pour se faire reconnaître localement dans le pays d’implantation comme un “bon acteur” de la pratique des affaires, rien de mieux que les normes internationales, en particulier la norme ISO 26000 sur la RSE.
Une excellente définition (parce que concise) de la RSE a été donnée par le Gouvernement du Canada:
“La responsabilité sociale d’entreprise (RSE) est l’intégration équilibrée de considérations sociales et environnementales aux décisions et aux activités d’entreprise.”
C’est certes un peu vague, mais avec un avantage: le principe peut être adapté à chaque culture locale.
Ce qui est d’autant plus à portée que la norme ne revêt pas de caractère obligatoire, ne rassemble que des lignes directrices et ne permet pas une certification « tierce partie » par un organisme spécialisé.
S’y conformer de façon volontaire exprime de la considération pour les particularités locales tout en bénéficiant du prestige de son caractère international. Ce qui a des conséquences positives dans les pays considérés, mais aussi en France où l’entreprise peut légitimement prétendre suivre la Loi Pacte (loi PACTE du 22 mai 2019) et sa modification des articles 1833 et 1835 du Code Civil.
S’inspirer de la norme implique une conception holistique des rapports entre l’entreprise et son environnement.
Comme l’a déclaré pertinemment Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada:
« Pour la plupart des entreprises canadiennes, il ne s’agit plus d’adopter une “bonne” conduite commerciale, mais bien une conduite “honorable”. Ce n’est plus une question de philanthropie : la conduite commerciale fait partie intégrante de l’exploitation de l’entreprise. »
Quand la pensée occidentale prend une dimension confucéenne…
II Agir local: les principes directeurs propres à chaque environnement pays
Agir local: les principes directeurs propres à chaque environnement pays
Pour assurer la cohérence entre principes internationaux et nationaux de RSE, il est utile de se tourner vers les “thématiques centrales” telles que définies par le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance.
- La gouvernance de l’organisation ;
- Les droits de l’homme ;
- Les relations et conditions de travail ;
- L’environnement ;
- La loyauté des pratiques ;
- Les questions relatives aux consommateurs ;
- Les communautés et le développement local.
La prise de conscience au niveau local ne veut pas dire dans un seul pays, mais dans un écosystème comme l’écosystème Indo-Pacifique. Le respect des principes ESG (environnement, social and governance) considéré comme une nécessité même en période de crise, s’est matérialisé dans des normes obligatoires pour les sociétés cotées à Hong Kong en juillet 2020, et en Inde en mai 2021, suivant l’exemple plus ancien de Singapour en juin 2016.
Encore plus révélatrice de la tendance de fond est l’adoption par la Nouvelle Zélande en octobre 2021 du Financial Sector (Climate-related Disclosures and Other Matters) Amendment Act 2021 (FSAA) qui impose des obligations de diffusion d’information à un groupe étendu d’institutions au delà désormais des seules sociétés cotées.
III L’Australie comme exemple
Pourquoi l’Australie ? Parce que son influence en la matière s’étend au delà de son territoire dans plusieurs autres pays de common law de l’Indo-Pacifique tels que la Malaisie, Singapour ou l’Inde.
La priorité en 2022 en Australie dans le domaine des préoccupations ESG penche nettement en faveur des questions environnementales et particulièrement des effets du changement climatique, et a pris plusieurs directions.
La Commission de la Concurrence et de la Consommation (Australian Competition & Consumer Commission ou ACCC) a entamé une série de contrôles portant sur la véracité des affirmations portant sur les qualités environnementales et “vertes” des produits et services.
De telles pratiques illicites ont désormais un nom (“greenwashing”) et selon l’ACCC peuvent consister en des engagements non vérifiables scientifiquement de réduction des émissions dans l’avenir, en des affirmations d’alignement sur les principes de la Conférence de Paris sans fondement. Selon la Federal Court (dans l’arrêt Chevron de décembre 2019), ce peuvent être des affirmations inexactes d’absence de dommage environnemental lié à une activité.
Ce n’est pas seulement de la “soft law”, le devoir de prendre des mesures appropriées pour répondre au défi du changement climatique a fait son entrée dans le droit positif avec l’arrêt Bushfire Survivors for Climate Action Incorporated v Environment Protection Authority [2021] NSWLEC 92 de 2021 de la Land and Environment Court de Nouvelles Galles du Sud et il est attendu que le principe ainsi posé sera invoqué dans des actions en responsabilité visant des entreprises privées.
Le poids de la responsabilité personnelle des dirigeants d’entreprises sur le fondement de la violation d’obligations environnementales ne cesse de s’accroître. Ainsi dans le Queensland les administrateurs ou dirigeants sont ils désormais réputés personnellement responsables au titre d’une présomption dénommée “deemed-liability offence” dont ils ne peuvent s’affranchir qu’en démontrant avoir pris toutes les précautions ou avoir été dans l’impossibilité d’influencer la décision de la société.
Le bon comportement ne se réduit pas au fait de ne pas diffuser des informations mensongères (obligation négative) mais s’étend à celui de diffuser spontanément des informations véridiques (obligation positive). Une “Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD)” ouvre la voie vers une information obligatoire de toutes les sociétés australiennes sur les “biodiversity loss risks”. Avec le risque exprimé sous forme de menaces explicites que la responsabilité personnelle des membres des conseils d’administration non conformes soit mise en cause au titre du Corporations Act 2001 (Cth), sections 180(1), 181(1) and 299A(1).
Le changement climatique est un thème dominant, mais pas unique, d’autres évoluent comme les droits de l’homme ou les relations du travail.
Ainsi, dans un arrêt remarqué de 2020 Cassimatis v Australian Securities and Investments Commission, la Federal Court of Australia a jugé que la mauvaise réputation d’une entreprise liée à son piètre respect des droits de l’homme pouvait constituer la preuve d’un “breach of directors’ duties” et mener à la mise en cause personnelle d’un administrateur.
Un autre thème en évolution est celui des relations et conditions du travail. Le Code of Practice du gouvernement de l’Australie Occidentale (Government of Western Australia) intitulé “Psychological hazards in the workplace” vise à étendre le champ de la responsabilité de l’employeur en matière de santé au delà des conditions physiques jusqu’aux affections psychologiques et sociales telles que stress, épuisement, abus, violence, agression, harassement, burnout. Il définit des responsabilités de l’employeur en conséquence : leadership, procédures, soutien, etc., la liste est longue et il est attendu de l’employeur qu’il évalue les risques, prenne des mesures et en vérifie l’application.
Que conclure ?
En conclusion, l’entreprise française à l’étranger ne peut être moins rigoureuse en matière de RSE/ESG qu’elle ne le serait en France. Elle bénéficiera des mêmes retombées positives que celles reconnues à la RSE en général et protégera ses administrateurs locaux, y compris ceux nommés par le siège et non résidents dans le pays de la filiale dont les devoirs sont identiques à ceux des administrateurs résidents.
L’entreprise doit s’inspirer des deux principes, international et local, dans des proportions variables adaptées à chaque pays. Et au niveau du pays, privilégier l’approche par le droit.
En France, le Bureau de l’ambassadeur chargé de la bioéthique et de la responsabilité sociale des entreprises a publié un remarquable document intitulé “Introduction au Guide ISO 26000 sur la responsabilité sociétale à l’usage des entreprises de petite et moyenne taille”.
Après avoir rappelé à juste titre que “Le premier stade de responsabilité est le respect du droit national en vigueur sur tous les territoires où l’organisation opère”, le document indique très pertinemment que ceci concerne “même ceux où la gouvernance locale est défaillante”.
Dans ces pays où le droit national est “faible” pour reprendre la terminologie employée par l’Introduction, “ces normes internationales de comportement sont une ligne rouge qui préserve du risque de se trouver complices de leur violation et en position d’être soumis à des recours judiciaires”.
Le conseil est précieux là où le droit local est déficient mais ce n’est pas le cas des pays de l’Indo-Pacifique où notre cabinet conseille ses clients (Malaisie, Australie/Nouvelle Zélande, Singapour, Inde).
Les règles locales y sont suffisamment développées pour qu’une entreprise française implantée se considère “compliant” avec les normes internationales en suivant le droit positif et la “soft law” locaux.
Avec des degrés entre l’Australie/Nouvelle Zélande où les normes ESG intègrent et même parfois excèdent tous les principes RSE, et d’autres pays dans lesquels malgré des normes locales développées, il demeure utile de conserver comme guide global complémentaire la norme ISO 26000.
Dans tous les cas, pour citer à nouveau le document du Bureau de l’Ambassadeur, “Cela implique que l’organisation se tienne en particulier régulièrement informée des évolutions législatives”.
Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).