Le monde ne tremblera pas, parce qu’à la différence de la Chine selon le titre du célèbre et prophétique ouvrage d’Alain Peyrefitte, l’Inde n’a pas d’ambition hégémonique mondiale.
Mais que l’Inde s’éveille est bien un phénomène qui se déroule sous nos yeux. Un accord de libre échange a récemment (avril 2022) été conclu avec l’Australie (ECTA) et un autre est en négociation avec l’Union Européenne par reprise des discussions en juin 2022.
Le moment est donc venu de se préoccuper de la façon dont le pays fonctionne en interne, notamment en matière juridique.
Lettre d'information N°11 - Les liens du cabinet Girard-Foley avec l’Inde
Depuis longtemps nous avons des liens étroits avec l’Inde via le suivi de plusieurs dossiers impliquant des intérêts français et des sociétés indiennes, de la PME/ETI jusqu’à des multinationales. Également grâce à une alliance ancienne de “correspondant organique” enregistrée auprès de l’Ordre des Avocats de Paris avec un prestigieux cabinet de New Delhi.
Cette connaissance de l’Inde nous est de surcroît facilitée par les similarités entre le droit indien et le droit de la Malaisie, lieu d’implantation de notre cabinet.
Les similarités dans la législation
À partir d’une base commune, celle de la common law d’inspiration britannique telle que déclinée dans les colonies de l’empire, l’Inde a constitué et constitue encore un modèle pour la Malaisie et les concepts juridiques communs abondent.
Ceci se constate dans la législation, par exemple la loi malaisienne sur les contrats Contracts Act 1950 (Act 136) est une réplique de la loi indienne correspondante The Indian Contract Act 1872.
Même les thèmes qui ont été retirés par une réforme législative de la loi sur les contrats pour faire l’objet d’une loi distincte (“Sales of Goods”, “Partnership”) l’ont été en parallèle dans les deux pays.
Des principes de droit que l’on ne retrouve pas avec la même autorité dans toutes les juridictions de common law, comme la nullité de plein droit des clauses comportant un “restraint of trade” (ce qui a pour effet, par exemple, l’impossibilité d’imposer les clauses de non concurrence dans un contrat de travail, sans considération pour le caractère “raisonnable” de la clause) sont présentes dans les deux législations.
Cette similarité s’étend à des concepts d’importance cruciale pour le commerce comme la formation des contrats, la relation “agency”, ou la sanction des “breach of contract”.
Les exemples ne se limitent pas au droit civil et commercial, et se rencontrent dans le droit pénal. Sans être identiques, les codes de procédure pénale (en Malaisie Criminal Procedure Code (Act 593) de 2012, en Inde The Code of Criminal Procedure, 1973) présentent de nombreuses dispositions communes, notamment au regard de règles pénales pouvant avoir un impact sur la conduite des activités commerciales comme la recherche et la constitution des preuves, le “plea bargaining” et les actions préventives de la police (“Preventive action of the police”).
L’influence réciproque des jurisprudences
Les précédents jurisprudentiels des tribunaux de l’autre pays sont souvent cités selon le principe du “persuasive but not binding”.
Les tribunaux indiens n’hésitent pas à appliquer le droit malaisien lorsque les circonstances l’exigent. Ainsi, dans un arrêt Pantalon Retail (India) Ltd. Vs Amer Sports Malaysia Sdn Bhd & Air de 2012, la High Court de Delhi a déclaré sans ambiguïté en présence d’une clause attributive de compétence non exclusive aux tribunaux malaisien: “Indian Courts can apply Malaysian Laws in the present dispute”.
La similarité entre le droit des deux pays est fréquemment avancée comme argument par les avocats sans rencontrer d’opposition de principe des tribunaux. Ainsi dans l’arrêt Malaysian International Trading v Mega Safe Deposit Vaults (P.) Ltd de 2006, la Bombay High Court a seulement retenu l’absence de désignation du point particulier de droit malaisien applicable par chacune des parties pour rejeter l’argument.
Le droit indien, le droit malaisien et la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises)
Même si les droits se sont écartés l’un de l’autre, alors qu’ils étaient initialement proches, en rapport avec les relations du travail (mais il faut prêter attention aux évolutions en Inde, notamment le grand train de réformes de 2022), il existe des convergences en cours concernant la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises).
Il est prévisible que la définition de “life” et par voie de conséquence du “right to life” évoquée mais non précisée dans l’article 5(1) de la Federal Constitution malaisienne évolue par référence à sa contrepartie, l’article 21 de la Constitution indienne.
L’interprétation donnée de cet article par les tribunaux indiens, en particulier la définition large dans l’arrêt de principe de la Supreme Court Maneka Ghandi de 1978 inclut le droit à un niveau de vie décent, à un logement, à un environnement sain, à un système de santé et à la protection des femmes contre les agressions sexuelles.
A l’inverse, l’Inde pourra s’inspirer des concepts RSE tels que développés en Malaisie sur le modèle de l’Australie, de la Nouvelle Zélande et de Hong Kong.
Les litiges commerciaux, la médiation et l’arbitrage
Quant à la résolution des différends commerciaux, la progression lente des affaires devant les tribunaux indiens (dont la compétence des Juges est indiscutable, le risque étant celui de l’hyper compétence…) est bien connue, mais les modes de résolution alternatifs (ADR) tels que médiation et arbitrage sont accessibles dans un environnement “ADR friendly”.
Le recours à l’arbitrage à Kuala Lumpur pour des différends entre partie indienne et partie étrangère en rapport avec des contrats dont la partie indienne a insisté pour qu’ils soient soumis au droit indien est facilité, notamment en termes d’exécution de la sentence arbitrale, par la similarité (rappelée notamment par l’arrêt de la Delhi High Court Sara International Ltd. Vs Golden Agri International Pte de 2010) entre l’Arbitration and Conciliation Act 1996 indien et le Malaysian Arbitration Act 2005 (révisé en 2011) malaisien.
Que conclure ?
De la même façon qu’il fallait poser ses jalons en Chine au début de la politique de réforme et d’ouverture voulue par Deng Xiaoping à partir de 1978, maintenant est le moment de faire de même en Inde.
Alors qu’en Chine le système juridique était embryonnaire et inadapté à la relation avec des intervenants étrangers au début de l’ouverture, l’Inde est un pays de longue tradition juridique héritée de la présence britannique, que le pays a porté à la perfection… et parfois au delà.
Il suffit de constater le nombre d’avocats indiens de part le monde, y compris et même surtout en Malaisie, pour en être convaincu : la population indienne est naturellement d’inclination à considérer le droit comme une base des relations entre individus et entre sociétés.
Le contenu ci-dessus est à but purement informatif en rapport avec une sélection de l’évolution législative, réglementaire et jurisprudentielle dans la zone géographique concernée, qui ne peut être et ne prétend pas être exhaustive.
Il ne constitue pas un avis juridique en rapport avec un cas particulier et ne doit pas être considéré comme tel.Il peut nous être demandé une étude doctrinale plus approfondie en rapport avec l’un quelconque des thèmes évoqués.
Philippe Girard-Foley est avocat étranger accrédité (Registered Foreign Lawyer) par la Cour Suprême de Singapour (Supreme Court Singapore) auprès de la Cour Commerciale Internationale de Singapour (Singapore International Commercial Court) – Certificate of Full Registration under Section 36P Legal Profession Act (Chapter 61).